La commune de Merckeghem a une forme curieuse ; une longue lanière rattache un espace isolé au reste du village, comme un îlot qui se rattacherait au continent par une presqu’île.
Il s’agit du hameau de Lynck dont il est déjà fait mention en 1177, orthographié Linck et Link.
En 1248 Aéline, dame de Drincham confirme le droit de libre passage par « l’overdragh de Lynke« au profit de l’église de Watten. Lyncke ne fut jamais un village mais un hameau important (400 ha), il est paroisse depuis 1900 et s’étend sur 5 communes. L’Overdagh (porter au delà) est un procédé ingénieux et relativement rare qui permettait aux bateaux de passer les barrages, les premières traces écrites des Overdraghs datent de cette époque. Ancêtres de nos écluses, c’était un plan incliné situé à côté du barrage et sur lequel on glissait les bateaux pour passer les ruptures de pentes, les bateaux étaient alors à fond plat. Le dernier Overdragh fut celui du canal de Loo qui servit jusqu’en 1828. L’Overdragh de Lynck était sur la Colme.
L’église actuelle à 2 nefs date de 1715 pour la nef la plus ancienne et de 1867 pour l’autre, Lyncke a son école depuis 1942. La première trace écrite du village de Merckeghem proprement dite date de l’an 1085, à l’occasion de l’érection d’une chapelle, mentionnée dans le cartulaire de l’abbaye de Watten. Peut-être était-ce l’ancêtre de l’église romane édifiée au XIIème siècle et qui subsista jusqu’à la deuxième moitié du XIXème siècle. Cette église qui portait gravée sur des piliers les dates de restaurations de 1534, 1599 et 1689, avait conservé son porche d’origine en pierres calcaires de 20 cm de côté, Louis Debaecker le décrivait ainsi vers 1850 : « …Cette porte en plein cintre a les extrémités de son arc qui retombent sur des colonnettes jumelles, et la corbeille de leurs chapiteaux est ornée de feuillages qui se rétrécissent en volutes imitant des crochets ».
Devenue vétuste l’église fut remplacée par un nouvel édifice en 1875-1876, dédiée à Saint Pierre aux Liens.
A quelques centaines de mètres de l’église paroissiale, s’élevait un autre sanctuaire, celui de l’abbaye du Ravensberg. Cette petite abbaye de dames fut fondée en 1191 par Christine de Ravensberg, veuve de Guillaume Brohon, fils naturel du comte de Flandre Thierry d’Alsace (ce prince, qui était très attaché à notre petit coin de Flandre, contribua beaucoup à sa mise en valeur et se fit enterrer à l’abbaye de Watten). L’abbaye cistercienne dépendait de celle de Clairmarais qui fut prestigieuse. Lorsqu’il fut fermé avant d’être détruit le 24 septembre 1792, le couvent abritait 28 religieuses. 28 abbesses se succédèrent à sa tête, la dernière Marie Louise Buys décéda le 26 novembre 1812 à l’âge de 74 ans et fut enterrée à Bollezeele. Une statue de Saint Bernard, en bois conservait jadis dans l’église le souvenir de cette dame, y était inscrit : « Gedachtenisse van Mevrouwe Buys, laetse abdesse van Ravensberg, order van S. Bernardus vernietigt in’t jaer 1812, overleden den 26 nov. 1792 » (En souvenir de dame Buys, dernière abbesse du Ravensberg, ordre de St Bernard détruit en l’an 1792, décédée le 26 nov. 1812).
L’abbaye qui bénéficia de nombreux dons durant son histoire n’abritait que des filles de familles aisées, elle possédait beaucoup de terres, fermes et moulins dans la région.
Des bâtiments, démontés à la révolution, il ne subsiste plus aujourd’hui que la belle grange de la ferme (ci-dessus) qui malheureusement menace ruine (sur l’abbaye voir aussi l’article dans la revue Yser Houck n° 3). L’abbaye ainsi d’ailleurs que l’église paroissiale, furent pillées par les gueux en 1568. L’écusson de l’abbaye est devenu celui de Merckeghem, il rappelle le nom Ravensberg qui peut se traduire par le Mont des Corbeaux. D’argent à 2 crosses confrontées et passées en sautoir, accompagnées de 3 oiseaux de sable, posés de chef et 2 flancs et en pointe une montagne de synoble.
Si le nom de Ravensberg ne se retrouve pas dans les lieux-dits de la commune le « Champ du couvent » rappelle cependant le monastère.
D’autres lieux-dits gardent un peu de l’histoire du village, ainsi le peu avenant Galgberg (Mont du gibet). Les Nordbrouck, Westbrouck, Nieuland évoquent des terres marécageuses récemment conquises sur l’eau. Les Terres de l’Ouverdyck, le Debarrenbrugge (traduit dans le cadastre de 1852 par Pont de Planches), le champ du Moulin, le Kapelle Veld remémorent des monuments anciens. D’autres noms sont évocateurs, tels que le Wezelbosch (bois de la belette), Peerdebilck Veld (le champ de l’enclos aux chevaux), le Zuydael (vallon du sud), d’autres sont plus mystérieux ; chachaen Veld, Bandyck Veld, Bister Veld, scharns Veld, Krol sans parler du Tournecul à Lynck !
Certains de ces lieux-dits rappellent aussi des noms de seigneuries qui se trouvaient sur la commune ; la seigneurie de Gheere se retrouve dans le Gergraght, le château d’Eeckhout que l’on trouve sur les cartes du XVIIème siècle a donné l’Eeckhout Veld.
Une partie de la seigneurie d’Holque se trouvait également sur la commune, ainsi que naturellement de celle du Ravensberg, la plus importante qui a été érigée en Baronnie en 1610. Toutes ces seigneuries situées dans les parties basses de Merckeghem se trouvaient dans la châtellenie de Bourbourg mais elles faisaient également partie des « Quatre Vassaux » qui avaient le droit de haute justice et échappaient ainsi à la justice de la châtellenie ne dépendant plus que du Comte de Flandre, directement.
La partie sud de Merckeghem dépendait de la Châtellenie de Cassel et était essentiellement constituée de la seigneurie de Merckeghem.
Une grande partie de Merckeghem située en Flandre Maritime se trouve à une altitude voisine du niveau de la mer, elle n’a été asséchée que tardivement à partir du XIIème siècle surtout, grâce à l’initiative des Comtes de Flandre qui distribuèrent de grands lots de « Nova Terra » à leurs seigneurs et aux abbayes qui les firent fructifier. C’est ainsi que fut constituée la seigneurie du Ravensberg (1110 ha).
A la limite de 2 châtellenies et des 2 Flandres, Merckeghem eut la malchance d’être souvent le point de rencontre des armées ennemies, notamment au XVIIème siècle, lorsque Espagnols et Français se disputaient la région. Les Espagnols construisirent ainsi un fort important en 1644 qui défendra le passage de la Colme et Bourbourg. Il sera assiégé et conquis par le Maréchal de Gassion en 1645 repris par les Espagnols en 1657 et rasé en 1678. Au sud du fort vers Merckeghem se trouvait également un petit ouvrage défensif, il n’y a plus aujourd’hui de trace de ces bâtiments.
Le modeste village de Merckeghem qui ne vit guère naître d’hommes célèbres si ce n’est Rémi Drieux (1519-1594) premier évêque de Leeuwarden puis évêque de Bruges (voir Yser Houck n° 7) a la chance d’être placé dans un site exceptionnel. Du haut des collines qui limitent les 2 Flandres on a un point de vue unique de notre région, notamment à l’emplacement de l’ancien moulin qui devrait faire l’objet d’un aménagement.
Sur les pentes de ces mêmes collines croissent encore quelques bois fort agréables mais malheureusement tous privés. Merckeghem compte aujourd’hui une centaine d’hectares de bois regroupés essentiellement sur les collines mais quelques minuscules bosquets parsèment également la plaine du Nord du village.
Loin des grandes routes Merckeghem demeure un village paisible, connu surtout des cyclistes qui apprécient ses coteaux escarpés. 531 habitants partagent les 1073 ha de la commune avec les nombreux urbains qui viennent régulièrement s’y ressourcer.