Pendant 1 500 ans tous les colombages de nos chaumières, toutes les charpentes des maisons, des granges, des étables de Flandres, tous les meubles étaient en bois d’orme. Le bois coupé à la sève descendante, trempé plusieurs mois dans l’eau des mares devenait d’une dureté extraordinaire et les poutres ou chevrons qui en étaient extraits duraient des siècles et étaient souvent réutilisés plusieurs fois. Leur principal ennemi est l’eau. L’orme aussi dur soit-il pourri très rapidement s’il est exposé à la pluie. L’orme, arbre de lumière, est un solitaire que l’on ne trouve guère en forêt mais qui se plaît dans nos pâtures. En Flandre, les pâtures étaient très souvent plantées d’une ou deux rangées d’arbres qui en faisaient le tour. Arbres soignés, dont les branches étaient soigneusement émondées afin qu’ils aient un beau fût bien droit dont on pouvait tirer un maximum de poutres.
Ces arbres donnaient tout le caractère à notre paysage. Cordier écrivait au XVIIIème siècle que la Flandre ressemblait à une « forêt de haute futaie qui ferme de toute part l’horizon ; à mesure que l’on s’avance, la forêt semble s’éloigner et au lieu d’entrer dans un bois épais et sombre, on continue à voir des arbres magnifiques isolés et fort espacés ». Ce paysage est resté inchangé jusqu’au début de ce siècle. La plupart de ces beaux arbres étaient des ormes (mais aussi des chênes, dont le bois de plus grande qualité encore était souvent exporté, notamment pour la marine). Les ormes de pâture pouvaient avoir une belle taille, leur bois était cependant plus ou moins dur selon la vitesse à laquelle l’arbre avait poussé. L’arbre qui poussait très vite avait un bois moins dur, il servait alors à faire des meubles. Les coffres qui constituèrent jusqu’au XIXème siècle l’essentiel du mobilier, étaient constitués d’une seule planche d’orme par face -planches qui avaient alors chacune 70 cm de large-. Les grandes tables de ferme et les armoires-penderies étaient aussi en orme. Arrivé au XXème siècle, les arbres abattus ne furent plus systématiquement remplacés. Le bois importé devenait moins cher, la guerre 1939-1945 fit également des coupes sombres dans nos pâtures. Les Allemands faisaient notamment abattre les arbres pour constituer des pieux Rommel.
La graphiose qui tua tous les ormes subsistants acheva la disparition de ce qui fut notre arbre roi et sans qui la Flandre n’aurait pas été totalement ce qu’elle est. Sans lui nous aurions manqué de bon bois d’œuvre et nos constructions auraient été moins belles et moins solides. La graphiose est une maladie causée par un champignon minuscule (caratocystis ulmi) véhiculé par un coléoptère qui niche dans les bois morts pour s’envoler vers les hautes branches d’un arbre sain. Une fois la maladie installée l’arbre meurt très rapidement, en quelques mois. Cette maladie, qui apparut durant les années 20, resta bénigne jusqu’après guerre avant de devenir un fléau dès les années 60. Au point qu’il n’existe plus en Europe Occidentale que quelques rares arbres adultes ayant mystérieusement résisté à la maladie. Jamais une telle maladie aussi foudroyante et générale n’a été relatée dans l’histoire Européenne et il est très décevant de constater qu’aucun remède efficace n’a été trouvé pour endiguer la graphiose. Peut-être n’y a t’on pas mis toute l’énergie nécessaire car cette catastrophe pour nos paysages et pour notre nature n’a pas de réel impact économique. Heureusement pourrait-on dire, car si la graphiose était apparut quelques décennies plutôt, cette maladie aurait eu de grosses répercussions en Flandre notamment au niveau de la construction. Si la grande silhouette de l’orme a disparu de nos paysages, la plante n’est cependant pas menacée d’extinction, car la maladie n’attaque que les sujets adultes et l’orme drageonne énormément ainsi de nouvelles pousses apparaissent sans cesse aux alentours des arbres. Certaines haies sont aussi parfois formées essentiellement d’ormes que ne dépérissent pas.
Il existe, en réalité, diverses variétés d’ormes dans nos régions, très ressemblants les uns des autres et qui s’hybrident allègrement. On trouve toujours cette feuille asymétrique à la base, très reconnaissable, tout comme les petites fleurs aux étamines rouges qui éclatent en bouquets au printemps avant l’apparition des feuilles et les petits fruits plats de 15 à 20 mm de diamètre avec une graine en leur centre, bien visible. Mais, bien sûr, fleurs et fruits n’apparaissent que sur les arbres d’une certaine taille. Enfin tous les ormes ont une écorce caractéristique gris-marron.
L’orme le plus commun est l’orme champêtre -ulmus procera ou ulmus campestris- aux feuilles assez petites qui forme un bel arbre en dôme de 30 m de hauteur. L’orme blanc -ulmus glabra- a une silhouette beaucoup plus étalée, son tronc est gris argent, ses rameaux robustes. Contrairement aux autres variétés, il ne drageonne pas. Ulmus minor a un tronc gris brun, une feuille d’un vert vif brillant au-dessus, des rameaux minces. L’orme de Hollande -ulmus hollandica- est un hybride de l’orme blanc et de l’orme champêtre, très drageonnant il a des branches rayonnantes, droites. L’orme croît dans toute l’Europe et peut vivre jusqu’à 5 siècles.
En médecine traditionnelle l’écorce et les feuilles de l’orme étaient fort prisées. Les décoctions à base d’écorces récoltées en février sont toniques et astringentes. La seconde écorce prélevée au printemps sur des rameaux de 2 ans, prise en infusion guérie les ulcères, dartres et eczémas. Les feuilles appliquées en cataplasmes agissent sur les plaies et les ulcères et calment les névralgies et les rhumatismes.
Voilà donc encore un arbre bien utile qu’il est maintenant possible de replanter car de nouvelles souches résistantes à la maladie ont été élaborées.