Le moulin est souvent présenté comme un des symboles de la Flandre. En effet on en trouve encore une dizaine dispersés dans le Houtland. C’est beaucoup par rapport aux autres régions françaises, peu par rapport aux Flandres Belges ou aux Pays Bas et infime comparé à la quantité de moulins à vent qui fonctionnaient au XIXème siècle dans le département (de l’ordre de 1500).
Chez nous tous les villages possédaient au moins un moulin souvent 2 ou 3. L’histoire des moulins de Flandre remonte sûrement au XIIIème siècle, puisque les premières mentions de moulins se retrouvent vers 1250. L’apparition des moulins à vent se fait d’ailleurs simultanément dans toute l’Europe occidentale, un peu plus tôt en Normandie, vers 1180. Ces premières mentions du moulin ne correspondent cependant pas forcément à l’arrivée du moulin en Europe. Ils pouvaient être présents depuis déjà des dizaines d’années. On ne sait pas comment le moulin est apparu en Europe, on estime généralement qu’il vient d’Asie ou du bassin méditerranéen mais il pourrait aussi être le fruit de découvertes locales.
Toujours est-il que le moulin à vent connu une grande fortune en Flandres, rien d’étonnant à cela quand on sait que les moulins à eau ne peuvent y fonctionner faute de grandes rivières et de courant, que le vent règne en maître dans la région (plus de 300 jours/an). Traditionnellement les grands arbres étaient nombreux dans le Houtland. Les pâtures (1/3 des sols agricoles) étaient entourées d’une ou 2 rangées d’arbres qui étaient soigneusement émondés afin de donner de beaux fûts très recherchés car fort utiles pour confectionner les charpentes… Cela était encore vrai au début de ce siècle.
Les conditions sont donc réunies pour que le moulin à vent et en bois tourne en Flandre. Les hommes ont fait le reste produisant de riches récoltes de céréales grâce à des rotations savantes des cultures et des amendements abondants, alors même que la plupart des campagnes connaissaient encore une agriculture archaïque. Des techniques élaborées chères au peuple flamand ont été mises au point pour que le moulin soit le plus performant possible.
Le moulin de Flandre c’est surtout le moulin en bois sur pivot, c’est à dire un pivot central autour duquel s’équilibre la cage du moulin que l’on peut tourner face au vent. A première vue tous les moulins de ce type sont semblables, en fait le moulin de Flandre bénéficie de spécificités techniques que l’on ne trouve pas dans les autres régions de France. Le moulin c’est donc d’abord un axe vertical, gros tronc de chêne de 8m de long au sommet duquel on a fixé une couronne de bronze et sur lequel repose le moulin. On obtient ainsi le moulin suspendu ou perché spécifique des Flandres. Quelle audace technique quand on imagine que les dizaines de tonnes du moulin reposent sur un disque de quelques décimètres de diamètre. La deuxième grande spécificité du moulin flamand se trouve au bas du pivot. A première vue, comme partout ailleurs, le moulin repose sur 2 solides poutres horizontales (soles) qui se croisent sous le pivot et se posent sur 4 piliers de briques. En fait le moulin ne repose pas du tout sur ces poutres qui s’encastrant sous le pivot, ne servent qu’à maintenir la verticalité du bâtiment mais ne supportent aucun poids. Par contre ce sont quatre doubles étais qui portent toute la masse du moulin. Encastrés à mi-hauteur du pivot, ils sont ancrés à l’extrémité des soles au dessus des 4 piliers de briques (deuxième raison de parler de moulin suspendu).
Dans les autres régions notamment le bassin parisien voisin, les moulins sont dit « posés » ou « assis », ils reposent sur les poutres horizontales ou soles qui peuvent alors être 8 au lieu de 4, les étais ne servent plus à porter le moulin mais simplement à le maintenir . L’endroit où les étais se rejoignent sur le pivot est « la chaise » et c’est cette chaise qui porte ordinairement la cage des moulins et non le haut du pivot. Là encore notre moulin a l’avantage de se tourner plus facilement puisque la rotation s’effectue sur une petit disque et en un point plus élevé. Ces éléments essentiels décrits, il est facile de se rendre compte de l’importance de bien équilibrer le poids du moulin qui se réparti sur 2 étages : au plus bas, le magasin à farine ; au niveau supérieur au dessus du pivot se trouvent les meules (une ou souvent 2 paires), avec sous le toit l’arbre qui prolonge les ailes. Les ailes, autre originalité et perfectionnement inégalé des moulins flamands, au lieu de trouver des ailes symétriques de par et d’autres de leur axe, l’aile flamande est formée d’un côté étroit équipé de planches inclinées et d’un côté large composé de barreaux (une trentaine) sur lesquels le meunier étale une toile. Pour mieux prendre le vent, l’aile est dotée d’une courbure (comme une hélice d’avion) et légèrement creusée comme la paume d’une main.
Les ailes ont une envergure de l’ordre de 24 mètres qui permettent de capter suffisamment d’énergie pour faire tourner 2 paires de meules voire 3 comme le Noordmeulen à Steenvoorde et aussi des organes secondaires comme le monte-sac, la bluterie qui sépare la farine du son… Le moulin monstre fragile n’est rien sans l’art du meunier. La première tâche et non la moindre est de savoir utiliser à bon escient le vent, en entoilant les ailes selon les besoins, en orientant toujours le moulin face au vent sous peine de voir l’édifice abattu comme un château de cartes. Tourner le moulin est facile grâce à la queue située à l’opposé des ailes et qui prend naissance au niveau de la chaise (mi-pivot), la queue ne repose pas par terre mais les béquilles situées de par et d’autres de la queue permettent de bloquer le moulin une fois la bonne orientation trouvée.Le moulin se tourne grâce à un des treuils fixé sur la queue ou même simplement par la poussée exercée par le meunier. L’art du meunier est également d’éviter que le moulin ne s’emballe en utilisant le frein, lame de fer qui entoure la grande roue (rouet) fixée sur l’axe des ailes (arbre moteur). Le frein est utilisé pour arrêter le moulin pas pour régler sa vitesse, l’échauffement serait trop grand. Il ne faut pas oublier que l’incendie est un des grands dangers des moulins en bois ; la foudre, le grain échauffé par la mouture, le frottement du frein sur le rouet sont autant de risques de feu. L’art du meunier c’est également de régler la mouture en éloignant plus ou moins les meules l’une de l’autre, c’est de retailler ces mêmes meules régulièrement, c’est de travailler jour et nuit quand le vent le permet, se lever pour tourner le moulin en pleine nuit et bien d’autres choses encore. Métier difficile, hommes un peu redoutés à cause de leur savoir, enviés aussi ; les
meuniers vivaient généralement confortablement. Une petite ferme jouxtait souvent le moulin. Incontournable pour les cultivateurs, le meunier était réputé voleur, il faut reconnaître que 100kg de grain entier ne donnaient jamais 100kg de mouture compte tenu du dessèchement provoqué par les meules, de la poussière répandue… Le meunier avait aussi droit à un pourcentage de mouture pour son travail. Deschodt meunier à Wormhout, plaisantant avec le défaut attribué aux meuniers aimait montrer le miroir fixé près de sa bascule. Il servait disait-il au meunier qui s’y regardait alors qu’il prélevait sa part de farine dans le sac. Il arrêtait de transvaser lorsqu’il se voyait rougir. Si le moulin servait à produire de la farine à l’époque où chacun faisait son pain, il moulait également les céréales dites secondaires utilisées essentiellement pour nourrir les animaux, une paire de meules leur était souvent réservée.
Mais le moulin de Flandre servait également à produire de l’huile, on parlait alors de tordoir à huiles, ou à remonter l’eau en entraînant une vis d’archimède. Si les moulins à huile et à grains sont très semblables, les machineries intérieures n’ont rien de commun. Plus encore que pour le moulin du meunier on a ici une véritable usine miniature. L’arbre moteur, prolongement des ailes, n’entraîne plus des meules, mais des pilons. Grâce à des ergots dont il est équipé, il soulève et laisse retomber successivement 5 pilons qui viennent écraser les graines des oléagineux dans 5 mortiers situés dans la partie inférieure du moulin , il entraîne également 4 presses, des agitateurs, des courroies. Les mortiers ne sont autre que 5 cavités creusées dans une planche très épaisse, comme jadis les écuelles creusées dans les grosses tables en bois. L’étage supérieur du moulin à huile ne sert qu’à entreposer des réserves de graines, jusqu’à 2 tonnes de graines de lin, de colza, d’œillette (pavot). C’est à l’étage inférieur que s’effectue tout le travail, qui était parfaitement organisé, réduisant au maximum les temps morts et les pas inutiles dans un espace réduit. Deux hommes y évoluaient au maximum.
Le grain tombe du grenier dans le concasseur ; 2 cylindres mus par une courroie aplatissent les graines qui tombent dans un grand coffre. Deux pilons écraseront ensuite ces graines jusqu’à obtenir de grosses plaquettes de 5cm d’épaisseur. Les plaquettes sont jetées dans un fourneau où elles sont chauffées tout en étant sans cesse remuées par un batteur. Une fois chaudes les graines sont enveloppées dans des sacs et mises sous presses. C’est à dire pressées entre des coins de bois enfoncés progressivement à l’aide de petits pilons (100kg) ; l’huile qui coule est recueillie dans des seaux posés sous la presse. Une fois le pressurage terminé on obtient un tourteau qui contient encore de l’huile. Les tourteaux sont alors à nouveau pilonnés sous un des 3 lourds pilons réservés à cet effet puis chauffés avec de l’eau dans un second fourneau et enfin une seconde fois pressés. Les tourteaux restant sont vendus pour nourrir le bétail. Il n’existe plus de moulin à huile dans le Nord/Pas-de-Calais, les derniers étaient à Cassel, Bourbourg et Hoymille, ils finirent brûlés vers 1940, le feu était un danger encore bien plus important que dans les moulins à grain. Ils furent pourtant très nombreux notamment aux XVIIIème et XIXème siècles alors que la culture des oléagineux s’est multipliée dans le Nord/Pas-de-Calais. On eu à cette époque un moulin à huile pour 2 moulins à grains. Il y eu même quelques rares moulins à grains et à huile (Terdeghem, Looberghe, St Amand les Eaux).
Disposition intérieure d’un tordoir à huile
En lisière du Houtland on trouvait une autre catégorie de moulins, les moulins d’assèchement dont le rôle était de remonter l’eau. On en trouvait à Clairmarais, le long de la Colme, autour des Moëres. Il ne s’agit plus de moulins à pivot mais de tours dont seule la calotte supérieure pouvait tourner. La carcasse pouvait être en bois, comme celle des moulins à pivot ou en briques. A partir du XIXème siècle certains moulins à grains furent également construits ou reconstruits en briques avec une calotte orientable. La machinerie du moulin d’assèchement était simple. L’arbre moteur transmettait le mouvement à une vis d’Archimède située sous le moulin et qui pouvait remonter l’eau sur une hauteur de 1 à 2 mètres. Bien sur ici aussi tout le mécanisme est en bois y compris la vis d’archimède. Un autre principe était d’élever l’eau au moyen d’une roue à aubes. En 1850, 11 moulins assainissaient les 2300 hectares des Moëres, 9 étaient à vis d’Archimède (vis de 5 à 8m de long et 1,5 à 2m de diamètre) et 2 étaient à aubes, ils avaient tous le nom d’un grand fleuve. Là encore le Nord n’a pas su conserver de moulin d’assèchement à l’instar de la Flandre Belge qui en a plusieurs en état de marche notamment le moulin « l’Escaut » dans les Moëres.