Zegerscappel, gros village de 1740 hectares avec sa population qui a approché les 2000 habitants (1200 aujourd’hui) semblait un village particulièrement privilégié pour l’implantation des moulins à vent puisqu’il en a compté jusqu’à 7 voire 8 à la fin du XIXème siècle, non compris les deux moulins à cheval (voir Yser Houck n° 53).
Avant de retracer leur histoire, arrêtons nous tout d’abord sur un autre type de moulin qui a curieusement existé à Zegerscappel : le moulin à eau. Ce village est traversé par l’Yser qui prend sa source à huit kilomètres de là et n’a pas encore un gros débit. Nous avons retrouvé deux documents de 1575 aux Archives départementales (cote ADN : B 18106) concernant la demande d’implantation d’un moulin à eau. Le premier écrit à Gand le 7 mai 1575 nous indique que Pierre DE LEGHERE a demandé « … octroy d’eriger ung molin a eaue sur son propre fondt et heritaige en la paroische de Zegherscappelle… » afin de moudre toute sorte de grains pour son ménage et ses voisins afin de faire du pain ou de l’huile. L’avis donné par Loïs de Blasere de Gand est favorable contre paiement de 12 pattars monnaie de Flandre ; il souligne cependant que le moulin ne sera probablement pas très performant car il ne pourra moudre que les jours de grande eau, ce qui est rarement le cas en été. Le deuxième courrier datant du 4 août de la même année est l’accord définitif de la Cour des Comptes de Lille, ce courrier stipule que « … nul ne s’est opposé…. », l’érection est donc autorisée pour l’usage prévu sauf concernant la mouture pour le pain qui ne peut être faite que pour son ménage (sous entendu pas celui des voisins) sous peine de « … confiscation d’iceluy moulin et utensils… » ; probablement que d’autres meuniers faisant de la farine avaient influencé cette restriction.
Début du document du 4 août 1575 donnant accord pour l'installation d'un moulin à eau à Zegerscappel (cote ADN : B18106).
Nous n’avons pas retrouvé de Pierre de Leghere sur le registre paroissial mais un François de Leghere décédé le 13 janvier 1667 (descendant de Pierre ?) puis plusieurs de Legher au début du XVIIème siècle. On ne peut avec certitude affirmer que ce moulin à eau fut réalisé. Un autre document cependant nous incite à le croire, il date de juin et de juillet 1598 (cote ADN : B 18331) il s’agit d’une demande de Jacques VAN ELSTE d’occuper le moulin à eau de la châtellenie de Tournehem. Ce moulin appartenant au roi est en mauvais état « … à cause des guerres passées contre la Franche… » et est abandonné, il est alors proposé au plus offrant. Ce qui nous intéresse ici c’est que le demandeur Jacques Van Elste y est indiqué meunier à Zegerscappel. Ce qui pourrait signifier qu’il tenait à Zegerscappel un moulin… peut-être à eau, et que devant le peu d’efficacité de ce dernier sur l’Yser, il soit allé tenter sa chance à Tournehem sur la Hem d’un débit plus important. Nous n’avons trouvé aucun document ultérieur évoquant un moulin à eau à Zegerscappel, il a peut-être existé de 1575 à 1598 !
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Il est possible que nous ayons trouvé l’apparition du tout premier moulin à vent à Zegerscappel, c’est ce que semble nous indiquer plusieurs documents retrouvés aux Archives Départementales (cote ADN : B 181010, B 1621 folio 4 et B 18078). Une lettre adressée au président et gens des comptes de l’empereur à Lille du 22 avril 1555 préconise de donner accord à Josse NAUWINCK pour « … asseoir ung mollin servant à mouldre bled en la paroisse de Zeghercappelle du costé Noort de ladite paroisse et vers la fin d’icelle et au mytant des terres tenues de la seigneurie de Lysake appartenant au seigneur de Morbeke… ». Ces précisions nous permettent de localiser le moulin qui semble être l’Heyde Meule situé près d’Eringhem et jouxtant le lieu dit Isaac. Le choix judicieux de son emplacement, situé au point le haut du village (38 mètres), nous est affirmé par la dite lettre. On y apprend que l’installation de ce moulin serait un grand « soulagement » des habitants et qu’il n’y a pas de moulin « … qui ne soit de bonne distance… », que les « … manans dudit Lysake et aultres ne scavent parvenir a aultres mollins sinon à grand travail et dommage que prendraient tant à raison de la longue distance que aussy de ce que les chemins espéciallement en temps pluvieux et d’ivers sont sy malvais que ils ne y scavent passer et aussy que les dits aultres mollins ne sont bien assi et aventés et aucontraire celui que ledit suppliant entend construire serait audit lieu en bonne et haulte situation… ». Cette demande est appuyée le 7 juillet 1555 suite à une rencontre à Cassel avec « … les bailly, eschevins et autres inhabitans de la paroische de Zegherscappel, lesquels après que les avoir interroghiez m’ont par serment certifié être très nécessaire d’y asseoir ung mollin… » et suite à la non réponse des quatre moulins voisins invités à donner leur opinion. On parle bien alors d’un moulin à Zegerscappel, peut-être le premier mais on trouvait déjà des moulins dans les villes et villages voisins. L’accord sera donné à perpétuité le 13 juillet 1555 sous réserve de payer annuellement à la saint Jean Baptiste (fêté le 24 juin), 40 pattars de Flandre au receveur général de Cassel et bois de Nieppe au profit de l’empereur ; en garantissant cependant de ne l’utiliser que pour moudre uniquement le blé.
Nous retrouvons trace de ce moulin dans un courrier du 13 août 1570 où l’on suspecte Maillard REYNAERT d’avoir sans autorisation fait ériger un moulin à vent à Zegerscappel. Ce dernier a prouvé au bailli de Zuytpeene-bailli de Cassel, rédacteur de la lettre que la Cour des Comptes avait bien donné cet octroi à Josse Nauwinck 15 ans auparavant. On apprend aussi que Maillard Reynaert « … ast acheté la moitié dudit molin et arès son décés ast acheté l’autre moitié contre les hoirs dudit Nauwynck ». Il prouve aussi son paiement de l’octroi à payer annuellement au receveur général de Cassel et du bois de Nieppe mais jusqu’en 1569 qui est due ainsi que l’année 1570 en cour. Le rédacteur propose alors de « … luy faire otter les fers… » au moulin interdisant probablement son fonctionnement et de lui faire payer une amende. Nous retrouvons bien dans le registre paroissial des Reynaert ou Renaert, et un Maillard Reynaert marié avec Marie DE ROUCK, dix enfants sont nés de ce couple entre 1598 et 1605, il peut s’agir du même Maillard ou de son fils.
L’histoire de ce moulin nous est malheureusement inconnue les deux siècles suivants, la carte de Cassini publiée en 1758 le fait apparaître avec l’inscription Mn d’Heede en fait l’Heyde Meule (le moulin des bruyères). A cette époque il semblerait que le meunier soit Jean VERREMAN né en 1701 à Sint Pieters Cappelle, on le mentionne plusieurs fois meunier de 1743 à son décès le 15 avril 1767. Il y était probablement déjà meunier depuis quelques années, nous n’avons cependant aucune preuve qu’il l’était sur l’Heyde Meule. Il prend pour épouse le 21 août 1736 Marine Jeanne DE HAENE native d’Eringhem (en 1717). Il se retrouve veuf en 1748, un de ces enfants Pierre François sera victime d’un accident mortel le 14 décembre 1751 « … malheureusement perri par la roue ou harnas du moulin. » à l’age de sept ans. Au décès de Jean, les Verreman semblent avoir quitté Zegerscappel, à noter qu’on trouve un Thomas Verreman meunier à Looberghe en 1791 sur un tableau de recensement des moulins et occupeurs du district de Bergues (cote ADN : L 5915). Ce même document nous donne les meuniers de Zegerscappel, celui qui nous intéresse ici est François DECONINCK dont le moulin est indiqué pouvant moudre par jour quatre razières de blé mais qui « … ne peuvent moudre cette quantité que quand les vents sont favorables ». Ce François Deconinck natif d’Eringhem en 1751 est arrivé avec ses parents à Zegerscappel vers 1755 comme nous l’indique un dénombrement de l’an IV (1795/96 ; cote ADN : L1340). Son père, François aussi, avait peut-être racheté le moulin après le décès de Jean Verreman, nous ne pouvons l’affirmer.
Extrait de la carte de Cassini où apparaissent 4 moulins à Zegerscappel (les limites approximatives du village ont été rajoutées).
Ce qui est sur, c’est que François Deconinck, le fils, y est meunier en 1791 et ce jusqu’à sa mort le 18 mars 1811 ; il avait épousé Marie Jeanne BEKAERT native d’Arnèke. Douze enfants naîtront de cette union dont Engelbert qui sera meunier à Quaëdypre et encore un François, François Louis DECONINCK né le 28 octobre 1787 qui reprendra le flambeau au décès de son père. Sa présence sur le moulin nous est confirmée par la matrice cadastrale bâti/non bâti de 1823 à 1850, elle nous indique aussi une mutation en 1841 au profit de Bernard Charles Louis SCHODET de Dunkerque. Les Deconinck quittent alors Zegerscappel et s’installent sur un moulin à West Cappel.
Extrait du cadastre de 1852 (section A, 2ème feuille), le moulin figure au n°440 (sources : ADN).
Le tableau indicatif de 1852 nous souligne que le propriétaire est alors la veuve de Bernard Schodet et l’occupeur Louis BERTRAM (22 mai 1822 à Eringhem-12 septembre 1852 à Zegerscappel). Ce Louis Bertram a certainement était placé par le nouveau propriétaire dès le départ des Deconinck. Nous le retrouvons à plusieurs reprises « meunier » sur le registre d’état civil, il a épousé à Zegerscappel le 2 mai 1844 une broxeeloise de 22 ans Eulalie Blandine Angélique THOORENS. Son passage sur le moulin des bruyères sera cependant de courte durée puisqu’il décède en 1852 à 30 ans. Il sera remplacé par Charles Louis ROUSSOU ou Rousseau (6 mai 1828 à Arnèke-25 novembre 1888 à Zegerscappel), famille que l’on retrouvera sur plusieurs autres moulins au village. Son installation sur l’Heyde Meule nous est prouvée par le registre d’état civil jusqu’en 1868 à la naissance de son fils Gustave Alfred Georges qui deviendra boulanger à Calais né au « Heyde Meule Straete » rue où se situe le moulin. Installation prouvée aussi par un bail du 15 janvier 1855 (cote ADN : J1820/254) entre la propriétaire veuve de M. Schodet décédé à Dunkerque : Delphine GOUPY DE QUOBECK et Charles ROUSSEAU « charpentier de moulin à Zegerscappel ». Y est noté qu’il est déjà occupé par les preneurs. Ce bail concerne « Un moulin à vent à moudre blé et autres grains, avec maison, écurie, grange et autres batimens, et environ deux hectares soixante huit ares cinquante centiares de terres en fonds de bâtiments, jardin, pature et labour… » pour un loyer de 500 F par an. Tous les bâtiments sont estimés à 5337 F (« 2700 F pour les ouvrages dormants », « 1937 F pour les ouvrages tournants, mouvans et vivans dudit moulin »). Charles Roussou quittera ce moulin vers 1874 pour terminer sa carrière de meunier sur un autre moulin de Zegerscappel (voir Yser Houck n° 55), l’Heyde Meule finira dans les mains de Louis François Auguste FOORT venant de Wormhout, il se marie en 1874 avec une zegerscappeloise Eveline DEBIL. En 1879, le propriétaire devient « CRONIE Auguste veuve » il est noté « démolition » en 1881, après quatre siècles d’existence.
Echelle chronologique de l'Heyde Meule de Zegerscappel.
Seul vestige du moulin, la “Rue du Moulin”, on devine en arrière plan celui de Pitgam qui a eu la chance d'être restauré (photo Yser Houck 2004).
Article réalisé avec les documents des Archives départementales du Nord, les registres d’état civil de Zegerscappel et l’aide pour la transcription des documents de Thérèse Ioos.