Il est coutume de dire que ce sont les Gaulois qui inventèrent le tonneau que ni les Grecs ni les Romains ne connaissaient. Aucune certitude cependant n’existe quant à l’origine de ce récipient devenu tellement populaire, mais lié aux régions riches en bois ce qui n’était pas le cas des pays méditerranéens.
La technique de construction des tonneaux fut par ailleurs appliquée à de nombreux récipients usuels employés jusqu’à l’époque contemporaine ; les baquets à lessive, les seaux sont façonnés de manière identique aux tonneaux, la fabrication des colonnes des retables des églises est elle aussi dérivée de la même technique. Aujourd’hui, lorsque l’on pense tonneau, on pense immédiatement au vin et pourtant il y a encore bien peu de temps, les tonneaux étaient irremplaçables pour bien d’autres usages. C’est dans les tonneaux, par exemple que l’on conservait le poisson mais c’est aussi là que l’on entreposait la bière et cela, dans nos campagnes, jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Aussi les tonneliers avaient-ils fort à faire autant dans nos provinces septentrionales qu’au sud de la Loire. Chaque village possédait ses tonneliers puisque chaque cave hébergeait ses tonneaux de bière.
Aujourd’hui le souvenir de ce métier est quasiment oublié dans nos Flandres et il est bien difficile de trouver encore les outils qu’employaient les artisans.
Reconstitution du travail du tonnelier au Musée des Arts et Traditions populaires à Tournai (photo Yser Houck 2003).
Jean Gabriel PARASOTE est sans doute un des derniers tonneliers de Flandre encore en vie. Il est membre d’une famille qui s’est consacrée de toutes parts à la tonnellerie, son père était tonnelier tout comme son grand père et sans doute les ancêtres plus lointains. Les oncles de Jean Gabriel étaient tonneliers et aussi son frère, qui plutôt que de renoncer à son métier, a décidé de déménager au pays du vin, là où l’on continuait a avoir besoin de tonneaux.
Henri, le père de Jean Gabriel exerçait son métier à Boeschepe où sa mère tenait le café «Au tonnelier», d’ailleurs la famille n’y était connue que sous le nom de «cupper» (prononcer queupre). Aimé, le frère d’Henri était tonnelier à Eecke et René l’autre frère, à Abeele.
En fait, le tonnelier fabriquait de nombreux récipients différents mais tous conçus de manière similaire. C’était les tonnes à eau (ou à purin), les saloirs, les seaux, les profonds baquets à lessive, les barattes ou les cuves à crème (roomvatsche) de seulement 20 cm de hauteur. Le tout n’était constitué que de bois de chêne et l’artisan menait à bien toutes les étapes qui conduisent de l’arbre au tonneau.
A Boeschepe, les bois étaient nombreux et le tonnelier n’avait aucun mal à acheter les quelques chênes qui lui étaient nécessaires. Mais connaissant la destination du bois, les propriétaires ne vendaient généralement pas les plus beaux spécimens aux tonneliers. L’arbre abattu et la bille de bois livrée chez l’artisan, ce sont des spécialistes, les scieurs de long qui débitaient l’arbre. Jean Gabriel se souvient qu’à Boeschepe c’est une famille belge qui venait scier les arbres, le père et les deux fils. Le tronc était posé sur des tréteaux à près de 2 m de hauteur, le père, debout sur le tronc, tenait une extrémité de la scie, pendant que les fils, à terre sous le tronc, en tenaient l’autre extrémité. Cela allait vite nous dit le tonnelier et la scie ne déviait guère du trait tracé à la craie sur le tronc. L’opération était d’ailleurs relativement simple car les tonneliers demandaient simplement que le tronc soit scié en 4 quartiers, comme une tarte. Ces quartiers étaient coupés en tronçons de 70 à 20 cm de long selon l’usage futur. Ensuite la scie n’était plus du tout utilisée car le tonnelier n’en connaît pas l’usage, lui fend le bois, claper le bois disait-on.
Jean Gabriel Parasote, né en 1914, a commencé bien jeune à travailler avec son père. A 8 ans, il apprenait déjà le métier même s’il a obtenu son certificat d’étude, il passait déjà bien du temps dans l’atelier paternel. On était donc peu d’années après la première guerre mondiale et l’un des principaux problèmes du bois à cette époque, était les éclats d’obus qui parsemaient les arbres. Ils étaient nombreux à Boeschepe qui n’avait pas été très loin du front. La qualité des bois était par ailleurs plus ou moins variable selon les arbres ; un arbre de pâture avait un bois beaucoup plus dur qu’un arbre de forêt, un arbre régulièrement émondé avait moins de nœuds et donnait un bois plus régulier.
Le premier travail du tonnelier était de fendre le quartier de bois en douves (duyg), planchettes qui constituaient le corps des récipients. Les planches étaient tracées sur l’extrémité des quartiers de bois, puis à l’aide d’un outil approprié elles étaient débitées, «droites comme un I, c’était facile». Facile mais il fallait quand même un sacré coup de main et beaucoup d’habitude pour fendre correctement le bois sans compter la force physique. Le marteau qui servait à taper sur les outils, un lourd «kapthammer» en bois pesait 5kgs.
Quelques outils du tonnelier chez Jean Gabriel PARASOTE (photos Yser Houck 2003).
Visiblement Jean Gabriel a du être un homme grand et fort qui ne redoutait pas le travail physique, il semble bien qu’il en était de même pour d’autres hommes de la famille, était-ce une condition pour être tonnelier ? Jean Gabriel rappelle en tous cas souvent que le métier était dur.
Les douves débitées étaient entreposées dans un hangar ouvert, soigneusement empilées par rangées croisées, de manière à ventiler le bois. On avait ainsi des meules de planches d’environ 2 m de hauteur qui séchaient au minimum une année.
Venait ensuite le temps de construire les récipients, la technique était la même pour tous.
Il fallait d’abord enlever l’obier des douves, l’obier est la partie extérieure de l’arbre, les quelques millimètres ou quelques centimètres sous l’écorce, cette partie de bois était trop tendre. Tout l’art était d’en enlever suffisamment mais pas trop pour ne pas perdre trop de bois, l’épaisseur de l’obier est très variable suivant les arbres.
Ensuite le bois, encore brut, devait être égalisé, le tonnelier dispose pour cela de différents outils qui lui sont spécifiques, simples mais adaptés aux besoins et notamment aux formes courbes du futur récipient.
Le cupper utilisait d’abord des grands rabots d’1,50 m de long, attachés sur des tréteaux le «le wog bank» ainsi que de larges planes pour unir le bois. Le chant des douves était ensuite taillé en biais. Travail de précision, coup de main à obtenir à force d’exercices : «dès 8 ans, je commençais à travailler avec mon père» dit Jean Gabriel, «on travaille beaucoup par habitude» rajoute-t-il
Les douves devaient ensuite être assemblées pour former les récipients, ceux ci étaient souvent bombés ; il s’agissait bien sûr des tonneaux dont la taille variait selon les brasseries, leur capacité était approximative ; les plus grands faisaient de l’ordre de 100 litres. On les classait parfois en ton, halve ton et viertje (tonneaux, demi tonneaux et quart). Les tonnes à eau et à purin étaient elles aussi bombées, les saloirs l’étaient parfois. Leur forme faisait que les pièces de lard, qui étaient dans la saumure remontaient plus difficilement à la surface que dans les saloirs droits. Les seaux et autres baquets étaient eux simplement légèrement coniques. Pour chaque type et taille de récipient, le tonnelier disposait de «batissoirs» qu’il s’était fabriqué, il s’agit de modèles qui donnaient les dimensions des récipients. Les douves qui avaient été taillées légèrement renflées ou coniques, selon le cas étaient mises côte à côte à l’une de leur extrémité qui formerait le bas du récipient. Elles étaient à cet endroit cerclées une première fois. On enfilait ensuite les autres cercles qui devaient maintenir les douves serrées au point que le récipient créé soit étanche. La tache était loin d’être aisée car il fallait cintrer le chêne et l’on connaît la dureté et la rigidité de ce bois et les douves pouvaient avoir 25 à 30 mm d’épaisseur. Pour plier le bois, sans le casser, le tonnelier s’aidait d’un outil très simple, muni d’un crochet. Cet outil comme la plupart de ceux qu’utilisaient les Parasote, était fabriqué par le forgeron du village.
La qualité des outils était importante et dans la conversation, Jean Gabriel se réfère souvent à leur qualité ; «c’était de bons outils».
Les tonneliers de Flandre, comme les autres tonneliers de France et sans doute du monde, avaient une technique éprouvée pour assouplir le bois, c’était de le chauffer. Les nombreux copeaux tirés du rabotage du bois étaient un combustible tout trouvé. On les brûlait sous le récipient ébauché, lorsque les douves étaient déjà maintenues par un ou deux cerclages. Des morceaux de cercle non utilisés servaient à contenir les copeaux, car il ne fallait pas que les flammes lèchent le bois qui aurait risqué de brûler ou de carboner. Les douves étaient suffisamment chaudes lorsque l’on ne pouvait plus mettre la main sur leurs faces externes. Alors il fallait rapidement cintrer les planches jusqu’à ce qu’elles soient serrées au maximum et il fallait pousser les cerceaux au plus loin.
Ces cercles avaient été fabriqués au préalable à partir de rouleaux de lanières de fer, coupées à bonne longueur et fermés à l’aide de rivets. Ces cercles devaient être très légèrement coniques pour épouser la forme du futur récipient. Le récipient formé, il fallait égaliser le bois, les herminettes «grattaient» le bois, puis la plane à genoux (en forme de genou) et le rabot courbe terminaient le travail. Restait à poser le (ou les) fonds, il fallait d’abord lisser l’extrémité des douves pour avoir un récipient parfaitement stable, puis le «javloir», une râpe qui prenait appui sur l’extrémité du récipient, faisait une rainure dans les douves. Rainure dans laquelle on forçait les planches qui constituaient le fond. Le récipient était alors terminé, on testait son étanchéité «mais on n’était pas trop inquiet», «on était content quand on avait fini, car on avait travaillé dur pendant deux longues journées, pour faire, par exemple, un grand saloir de 70 cm de hauteur». Travail harassant, généralement effectué à deux, «travail de misère qui permettait tout juste de manger à sa faim et le pire c’est qu’on était payé qu’une fois par an, à la Saint Eloi» (le 1er décembre). En effet il était de tradition chez tous les artisans, de n’aller chercher son dû qu’à cette époque de l’année, lorsque les dernières récoltes étaient rentrées. «Et quand on livrait un tonneau en décembre, il fallait attendre un an pour être payé, tu peux croire qu’en novembre on n’avait plus grand chose à manger…».
Et pourtant Jean Gabriel a continué à exercer ce métier jusqu’à son départ à l’armée en s’employant dans une des dernières tonnelleries de la région, rue de Sercus à Hazebrouck et il prenait plaisir à faire ce travail avec ses deux ou trois compagnons. Prisonnier de guerre quelques mois en Bourgogne, il fut une fois de plus fier de montrer son savoir faire en fabricant des tonneaux chez un vigneron. Puis, le temps passant, alors même qu’il avait été embauché dans les chemins de fer, il continua son premier métier de tonnelier. «On avait beaucoup de temps libre dans les chemins de fer et mon père n’aimait pas beaucoup ça, alors je l’aidais».
Seau confectionné par Jean Gabriel PARASOTE alors qu'il n'avait que 16 ans (photo Yser Houck 2003).
Si, bien sûr, le métier fut un jour définitivement abandonné, Jean Gabriel ne l’oublia jamais, il conserve tous les outils de tonnellerie même si «le seul outil qui nous était propre était le kapt hammer». Il a bien entendu aussi récupéré et enjolivé quelques vieux tonneaux, conservé précieusement un seau magnifiquement ouvragé par lui même alors qu’il n’avait que 16 ans. Même s’il vit depuis longtemps en ville, Jean Gabriel n’a rien oublié, ni renié de son passé de pauvre villageois tonnelier. Son grand plaisir est de se faire promener en campagne par ses enfants et ni la vue d’un beau chêne pour faire des tonneaux ni celle de l’étal d’un dernier artisan ne lui échappe et enfin la vieille langue flamande demeure toujours sur ses lèvres.