En étant quelque peu attentif chacun pourrait remarquer deci-delà dans notre campagne, un champ en contrebas de ses voisins de quelques dizaines de centimètres, situé le long d’une route ou mieux dans un carrefour. Il s’agit à coup sûr d’un lieu d’extraction d’argile en vue de fabriquer des briques.
C’est le cas d’une parcelle au carrefour du Menegat à Noordpeene. S’y trouvait une des dernières briqueteries artisanales de la région et certainement la dernière de l’Yser Houck puisqu’elle fut en activité jusqu’en 1936.
Il ne fallait guère de matériel pour faire fonctionner une telle briqueterie, tout au plus un peu de capitaux pour payer la main-d’œuvre et le stock de briques en attente d’être vendu. Le lieu n’avait pas non plus grande importance, l’argile est partout en Flandre sous quelques centimètres de terre arable que l’on a vite fait de décaper. Cependant on ne pouvait pas utiliser une grande épaisseur d’argile car elle changeait bientôt de texture et si l’on avait trop baissé le niveau du champ il n’aurait plus été cultivable par la suite. Ainsi après un demi à trois quarts de siècle d’exploitation il fallait trouver un nouveau site.
Au Menegat, on a un champ rectangulaire d’environ 2 hectares qui fut utilisé par Georges PERSYN-MARQUIS jusqu’en 1919 puis par André VAESKEN-DECLERCK jusqu’à la fermeture. La fabrication des briques se faisait entièrement à la main, c’était un travail particulièrement pénible et il fallut durant les dernières décennies recourir à une main d’œuvre de flamands belges plus démunis que les locaux.
Les ouvriers venaient par équipe. Ils restaient sur place la semaine et repartaient chez eux pour le week-end. La fabrication des briques n’avait lieu que durant la belle saison de Pâques à fin juillet (en août les récoltes primaient). Aimé GOUSSEY d’Oostduinkerque a fait parvenir son témoignage de jeune ouvrier à la briqueterie du Menegat. Il y travailla durant 3 saisons de 1930 à 1932, il avait quinze ans lors de la première saison. Aimé travaillait avec son père, son oncle et un cousin. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agissait d’un travail de bagnard, qu’on en juge : le travail commençait à 4h et demi le matin pour s’achever vers 7h30 le soir soit 15 heures plus tard. Durant ce temps les briquetiers avaient façonné 10 000 briques. Les taches étaient précisément réparties parmi une équipe de 4 personnes qu’ils formaient. Un des 2 adultes préparait la terre à la manière d’un ciment en mélangeant de la chaux et du sable à l’argile, le second moulait les briques en pressant l’argile dans un moule à l’aide d’une manivelle « deux briques à la fois, 4 gouttes de sueur ».
Aimé, le « klinker », l'apprenti, retirait les briques des moules et les empilait dans une brouette, son cousin plaçait la centaine de briques de la brouette sous un hangar à plat et à champ, bien alignées et non jointives afin qu’elles sèchent convenablement. Les hangars étaient ouverts pour augmenter les courants d’air.
Les ouvriers se débrouillaient pour les repas, c’est à dire que les hommes préparaient eux-mêmes leur nourriture. A 8H00 ils prenaient leur premier repas, après 3 heures et demi de travail, c’était des tartines de pain avec une épaisse tranche de lard salé cru ramené de Belgique le lundi matin et une jatte de petite bière. A midi le menu était identique au matin avec parfois un bol de soupe bu froid « parce que l’on avait pas le temps d’allumer le poêle ». A 4H00 nouvelle collation en attendant le repas du soir pris à la nuit tombante car après avoir terminé la journée de travail il fallait encore préparer le dîner et le travail du lendemain : déplacer la presse…
Laissant les adultes à ces préparations, Aimé allait au village faire les courses ; c’était parfois un cœur ou une demi tête de bœuf qui agrémenterait la soupe mais plus généralement simplement 4 litres de lait et des oeufs « que l’on dégustait cru pour notre souper ».
Le gîte était aussi sommaire que le couvert, les ouvriers dormaient dans un baraquement : « comme notre baraque n’avait pas de plafond, on dormait sous les tuiles, on voyait parfois des rats qui se promenaient autour de nous ».
Les hommes dormaient simplement sous une couverture, tout habillés. Une semaine tout habillé, on pourrait craindre qu’il y ait également des bêtes sur la peau des hommes sauf qu’ils travaillaient torse nu durant la journée tellement la tache était difficile. Aimé GOUSSEY nous dit « C’était un travail et une vie de chien mais on gagnait bien et l’on se plaisait et les gens de Noordpeene étaient très gentils… ». A la fin de la saison les briquetiers avaient moulés 1 000 000 de briques et ensuite une nouvelle équipe venait les cuire, c’était un travail encore « plus brut et plus fatigant ».
Les gens vivaient dans la même cabane que les précédents, construite sommairement dans un coin du champ. Le four de cuisson était fabriqué sur le lieu d’extraction de l’argile ; il s’agissait tout simplement de lits de briques, alternés par des couches de charbon (boulets), le tout était recouvert d’une cape d’argile humide.
Une fois cuites les briques étaient empilées en grandes meules en attente d’être enlevées par les maçons qui les achetaient au long de l’année. Elles étaient alors glissées par une gouttière dans les chariots, les briques mal cuites, cassées… étant mises de côté avant d’être vendues comme briquaillon que les agriculteurs venaient chercher pour remblayer leur cours. Les briques trop cuites, servaient à construire des trottoirs.